Un engagement passion au service de l’Institution
La Société du Cheval Anglo-Normand, animée par ses aïeux depuis sa création en 1909, lui a été confiée par ses pairs en 1997. Et il s’est impliqué également dans plusieurs autres entités servant l’Institution, occupant notamment la fonction de vice-président de l’Association des Éleveurs Normands. L’occasion en cette période de ventes à la Prairie de s’entretenir avec Jean-Pierre Viel.
Les vacations caennaises 2019 battent leur plein et le bilan de la première session (24, 25 et 26 septembre), dans le contexte qui est celui que l’on sait, affiche une moyenne en ligne avec les résultats 2018 à périmètre équivalent (5.197 euros contre 5.104 euros), qui plus est avec un pourcentage de vendus en hausse (73,2 % contre 66,5 %) prouvant que l’activité s’est avérée soutenue autour du ring. Avec parallèlement un objectif resté le même depuis leur création en 1986 : « organiser des ventes de service, avec des conditions d’inscription très abordables, pour aider les éleveurs à négocier leur production dont la qualité globale s’est considérablement améliorée au fil des années, comme en témoigne le nombre toujours plus élevé de gagnants passés par la place caennaise », rappelle notre interlocuteur. « Un but atteint si on juge de la satisfaction et de la fidélité à nos vacations de la part de très nombreux éleveurs », explique le vice-président de l’Association des Éleveurs Normands, pour qui « les ventes doivent continuer à se dérouler sur l’hippodrome de la Prairie, lieu symbolique où se rassemblent chaque année en mai 10 000 personnes, parmi lesquelles une grande proportion des éleveurs régionaux, à l’occasion de la grande réunion des « Ducs » incluant le Saint-Léger des Trotteurs, épreuve de sélection la plus ancienne inscrite au programme actuel ».
« Une large ouverture du Stud-Book serait un coup dur pour nos professionnels »
Par ailleurs président donc de la Société du Cheval Anglo-Normand sous l’égide de laquelle est réalisé l’incontournable rendez-vous commercial initié par son père Albert, Jean-Pierre Viel, qui a désormais passé le témoin de l’œuvre familiale à ses enfants tout en conservant quelques compétiteurs et poulinières, insiste plus globalement sur le rôle que doit jouer le groupement d’éleveurs dont il s’est vu confier les rênes. « Notre association, où les débats revêtent une grande importance lors des assemblées générales, existe pour soutenir l’élevage du Trotteur Français de façon durable, afin qu’il continue de produire des chevaux de grande qualité, et ce selon des choix personnels qui peuvent être variés. J’en veux pour preuve les origines des vainqueurs des deux Groupes I du 14 septembre dernier à Paris-Vincennes, à savoir Feliciano et Étoile de Bruyère. Ainsi, le papier du lauréat du Prix de l’Étoile fait la part belle au jeune sang américain (son pedigree renferme notamment sept fois le nom de Star’s Pride et une fois celui de Speedy Crown) tandis que le pedigree de la gagnante du Prix de Normandie en est beaucoup moins imprégné (Star’s Pride n’est présent qu’à deux reprises et Speedy Crown absent). Ce qui montre que l’amélioration de notre race, incontestablement liée au travail de l’homme, continue à s’effectuer diversement. C’est là le côté intéressant de notre profession, métier de passion et de compétition, mot rimant avec sélection ». Quant à une large ouverture du Stud-Book parfois préconisée par certains, Jean-Pierre Viel affirme « qu’elle serait un coup dur pour nos professionnels qui verraient leurs homologues étrangers arriver en grand nombre en France ». Et de poursuivre : « Cependant, il faut aussi veiller à ce que notre race ne s’appauvrisse pas, ce qui n’est d’ailleurs pas le cas aujourd’hui comme le montre la réussite, à la fois hexagonale et internationale, de la production de Ready Cash. Mais on pourrait cependant envisager l’introduction dans notre livre généalogique d’un cheval d’exception véhiculant un courant de sang Standardbred qui ne s’y trouve pas, avec une attribution annuelle des saillies gérée, en fonction d’un règlement établi, par notre société-mère dont l’objet est l’encouragement du cheval français ».
À la question de l’utilisation du seul sperme frais chez le Trotteur Français, l’éleveur calvadosien répond : « Je considère que ça marche bien ainsi et que la concentration de reproducteurs en Normandie va dans le sens impulsé par l’État de créer des Pôles de compétitivité dans chaque secteur économique. Le CIRALE de Goustranvile ou par exemple la multiplicité des fabricants de camions et vans dans la région constituent d’autres composantes de cette dynamique d’ensemble souhaitée ».
« Beaucoup d’écuries vivent uniquement grâce au programme provincial »
À propos de la régulation de la jumenterie, « le nouveau barème, plus lisible et constant dans le temps, permet aussi une meilleure évaluation des juments Trotteur Français fonctionnant dans les pays qui ont signé des accords de production avec nous », indique l’homme siégeant à la commission de l’élevage et du stud-book de LeTROT où, dit-il, « je fais remonter les souhaits des membres de l’Anglo ». Et de préciser que « les juments de 1re ou de 2e catégories, correspondant à 50 % de la jumenterie, représentent le socle de l’élevage TF tandis que celles classées en 3e catégorie et au-delà ne sont en quelque sorte admises qu’à titre expérimental et doivent faire la preuve de leur qualité de reproductrices pour être maintenues dans le circuit. Avec aussi pour perspective de réguler le nombre des naissances pour éviter un embouteillage, particulièrement à l’automne, dans les courses de 3 et 4 ans peu argentés, populations qu’on ne peut limiter via les temps de qualification. Car si la Basse-Normandie et plus largement le Grand Ouest, plus gros pourvoyeurs de poulains, pourraient s’adapter, on pénaliserait certaines régions en influant négativement sur le nombre de partants. D’ailleurs, beaucoup d’écuries vivent uniquement grâce au programme provincial ».
« Il faut conserver tous les « petits » champs de courses fonctionnant grâce au bénévolat »
D’autres sujets tiennent à cœur à Jean-Pierre Viel. Ainsi, s’il a succédé à Paul Essartial dans le rôle de superviseur des hippodromes de Caen et de Cabourg (site où ont été enregistrées 118 000 entrées pendant le meeting estival), il n’en trouve pas moins comme « très important de conserver tous les « petits » champs de courses fonctionnant grâce à des bénévoles la passion chevillée au corps et attirant une clientèle néophyte en matière d’hippisme que l’on peut ainsi inviter, avec une bonne communication, à fréquenter régulièrement nos hippodromes ». Un système synergétique dont Jean-Pierre Viel est, parmi tant d’autres, un maillon puisque président de la société de Dozulé organisant chaque saison trois rendez-vous suivis par un public conséquent et hétérogène.
« Le PMU doit (re)conquérir la clientèle de retraités »
Comme président de la SCIC du Haras du Pin (coopérative ayant proposé services d’étalonnage et d’identification de 2015 à 2017, puis dissoute en raison d’un désengagement de l’IFCE au niveau de la délégation de personnels), il a, après remboursement des éleveurs-coopérateurs et accord du Ministère de l’Agriculture, concrétisé son idée de distribuer 14.000 euros de subsides aux sociétés de courses bas-normandes de 3e catégorie, tout en mettant de côté un séquestre pour faire face aux obligations légales de toute entreprise. Par ailleurs, s’il pense que « les hommes politiques concernés n’ont pas bien défendu la cause de l’Institution face à son concurrent qu’est la Française des Jeux », il dit « croire aux mesures prises par la nouvelle équipe dirigeante du PMU, élément moteur de tout le secteur et dont les compétences et les décisions doivent permettre aux Courses de (re)conquérir une clientèle. Et tout particulièrement les personnes à la retraite qui peuvent trouver dans le jeu hippique un divertissement quotidien. Aujourd’hui encore en partie peu enclines aux jeux en ligne, elles seront majoritairement connectées dans une décennie ».
« Passion » et « bénévolat » sont les mots-clés de son discours et de son action ; Jean-Pierre Viel y voit aussi, en symbiose avec la réorientation de la politique du PMU, le chemin du rebond pour l’Institution.